Elle n’y va de main morte pour expliquer que les acquis de la femme tunisienne sont remis en cause à chaque fois qu’il est question d’une nouvelle caste ou classe politique au pouvoir. Amel Grami universitaire et islamologue tunisienne spécialiste en civilisation, genre et droits des femmes, fait coucher sur du papier un écrit sans compromis pour mettre en garder contre des retours en arrière conservateurs. Elle se fait un sang d’encre pour les acquis de la Tunisienne pour révéler les relents conservateurs de Kais Saied et sa volonté non exprimée à parler au nom des femmes à dresser la liste des priorités de son combat. Elle montre que le modèle sociétal qu’il défend est basé sur le patriarcat et de la domination masculine des hommes et sur un système de tutelle sur les femmes. Amel Grami invoque la question de l’égalité successorale que le président de la République considère non prioritaire et inutile devant des nécessités économiques et sociales de la femme.
« Mais comment peut-il parler au nom de la femme et dresser la liste des priorités de son combat ? » dit-elle en expliquant qu’on ne peut pas réfléchir à la place de la femme en exerçant une certaine autorité morale sur ses manières de penser et de voir ce qui lui revient de droit en premier. Amel Grami rappelle le fait que Kais Saied s’est adressé à des femmes rurales le mois d’août dernier en leur expliquant que leurs droits économiques et sociaux sont prioritaires. « Kais Saied n’est certainement pas au courant des études empiriques et scientifiques faites depuis des années sur des femmes rurales qui ont exprimé leur volonté de se débarrasser du joug du patriarcat et veulent disposer de leur autorité morale et matérielle. Il n’est pas non plus au courant des vrais problèmes de ces femmes qui n’en peuvent plus de la violence sociétale et physique qu’elles endurent » dit-elle en exprimant son étonnement face à ses propos quant aux amendements à loi sur le statut personnel en 2016 et qui seraient selon lui une production des recommandations de l’Union européenne en ce sens.
La cause de la femme toujours d’actualité
Il va sans dire qu’il faut garder une certaine lucidité devant l’accélération actuelle des événements car les errements peuvent nous emporter comme une crue en ces temps de grande furie. Il n’est plus non plus question de reléguer aux oubliettes la question des droits de la femme, sa dignité et ses acquis avec cette montée de violence sans précédent contre elle et contre ses droits qu’on veut à tout prix bafouer.
Nombreux sont ceux qui vous diront qu’il ne s’agit point de question prioritaire. Ceux-là même n’hésiteront pas un seul instant à coller toutes étiquettes aux luttes des femmes, à clochardiser le combat féministe ou à encombrer de toutes les casseroles la volonté de la femme à être l’égale de l’homme ou encore à exprimer une réelle répulsion pour l’histoire et du combat féministe. Car il s’agit là de formater dans son infériorité la femme par rapport à l’homme au nom d’une interprétation fallacieuse de la religion qui fera du modèle patriarcal érigé comme un dogme sociétal une règle absolue à ne pas déroger.
« Des esprits conservateurs reviennent à la charge à chaque fois qu’il est question d’une nouvelle classe politique au pouvoir » commente Amel Grami avant de montrer que les droits de la femme tunisienne ne sont jamais un acquis et qu’il faut rester aux aguets pour mettre en garde contre tout retour en arrière.
Ce que l’homme veut pour la femme au nom de la religion
Emancipées, les Tunisiennes ? Oui, mais cela ne veut pas dire forcément qu’elles le sont dans leurs vies de femmes ! Le diktat de la domination de l’homme que nous subissons attribue à la femme l’image d’une subordonnée de l’homme. Et c’est là que le bât blesse. Car si la situation de la Tunisienne a progressé durant ces soixante dernières années, meilleur accès aux études, meilleure représentation politique, meilleure insertion professionnelle, accès à la contraception et à l’avortement et qu’elle est ici un exemple significatif pour les pays arabes, son rôle dans sa famille a pris bien d’autres acceptions.
On n’attendra pas un 8 mars ou un 13 aout pour parler de la femme et de ses droits. On ne tombera pas non plus dans le piège de vouloir extrapoler d’autres réalités à la nôtre. La Tunisienne a ses spécificités et a ses acquis qu’elle doit consolider pour ne pas céder la place et la légitimité de parole à ceux qui veulent la formater dans son infériorité par rapport à l’homme en instrumentalisant une interprétation fallacieuse voire maladive de la religion. « Ces textes du coran qu’on brandit telle une oriflamme comme pour montrer les lignes rouges à ne pas dépasser pour ce qui est de l‘égalité successorale. Mais est-ce que Kais Saied est au courant des recherches et études faites en ce sens entre autres par des femmes islamistes et qui ont donné un contre-sens d’une interprétation littérale du texte coranique ? », fait remarquer Amel Grami.
Il faut, en effet, briser la gangue guidée des préjugés qui matent les esprits qui masquent les ressentiments et la jalousie de voir des femmes réussir et devenir égales voire des supérieures de l’homme. Mais on ne pardonnera jamais à une femme ses luttes pour ses droits. On ne pardonnera jamais à des féministes qu’on a toujours taxé d’affreuses mégères leur combat pour une égalité réelle.
Et c’est d’ailleurs ce qui explique cette montée faramineuse de la violence à l’égard des femmes ces dernières années avec l’ascension au pouvoir de faux-dévots. Car il était question de casser des stéréotypes qui collent à l’image de la femme faisant qu’il incombe à elle seule l’essentiel des tâches domestiques, ou qu’elle dispose de son corps tout comme l’homme, ou encore qu’elle ait ses droits du legs familial de la même manière que l’homme.
La Tunisienne est une travailleuse qui apporte au sein du ménage une contribution souvent égale à celle de l’homme. C’est elle qui a combattu pour son émancipation après avoir longtemps souffert du sexisme et du machisme. C’est elle aussi qui retrousse les manches pour travailler les terres, qui investit, sans complexes, des métiers autrefois réservés aux hommes.
Que faire ?
Il y a lieu de remarquer que certaines femmes aujourd’hui vivent dans l’ignorance des grands combats féministes, pensent que ce n’est plus nécessaire de continuer de se battre contre des mentalités qui ne changent pas et contre une gangue guindée de préjugés. Il y a aussi le comparatisme culturel qui fera dire à certaines qu’il y a bien pire ailleurs, et que l’on peut se contenter de ce qu’on a. Force est de reconnaître que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne quand il s’agit d’argumenter et de plaider la cause des femmes, et qu’il reste donc beaucoup à faire pour déclencher une prise de conscience de la gent féminine. Celle-là même qui déploie beaucoup plus d’hostilité que celle des hommes quand il est question des droits des femmes. D’ici là cette même Tunisienne restera ce que l’on veut qu’elle soit, une femme bien rangée et surtout ‘’belle, belle, belle…’’ dans une société qui, paradoxalement, pratique le culte du corps et du jeunisme… Et ça c’est une autre question.
Mona BEN GAMRA