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« Ommek sannefa », Paul Bocuse et les autres

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Quand la politique s’invite sur la table des Tunisiens et vice versa

Quand la terminologie culinaire est empruntée par les politiques, une certaine presse ricane.   ‘’Ojja’’,  ‘’chakchouka’’ font partie désormais d’un langage de la politique depuis qu’on a pensé à ce mélange des genres  fait cet assemblage composite et improbable  de familles politiques. Sans oublier la dernière venue, la  célèbre ‘’Ommek sannefa’’.

Mais pourquoi donc tomber si bas ? La réponse est simple.  L’emploi du jargon gastronomique est en fait lié à notre culture de Tunisiens, de Méditerranéens  de souche, qui ne peut se départir de cet attachement à l’art de la table et à ses plaisirs.

Qui est « Ommek sannefa » ?

L’emploi d’«  Ommek sannefa » par le président a  fait fureur. Et même si le contexte ne s’y prêtait pas car n’y était pas tout à fait adapté, cette brillante trouvaille de la politique n’a laissé personne indifférent … Elle  nous renvoie  illico à ce must de la cuisine tunisienne, ce livre  que les nouvelles mariées prendraient avec elles dans leurs trousseaux. Dans ce livre édité depuis longtemps en arabe et en français, on a toujours adoré la couverture de l’édition qui se sert d’une peinture  de feu Zoubeir Turki, montrant une tunisoise s’afférant devant un couscoussier, préparant un plat traditionnel tunisien qui a fait son entrée au patrimoine immatériel de l’Unesco, le couscous. Dans ce célèbre livre de la gastronomie tunisienne,  les ingrédients ne sont jamais mis avec précision, car chez nous, en gastronomie comme en politique tout est question de dosage…  à l’œil.

« La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. »

Chez nous, on adore aussi s’attabler autour de bonnes tablées pour manger, partager, rire et même se tourner en dérision.  Et là aussi  La politique s’invite à la table des Tunisiens quand tout le monde en parle et que pendant les repas en famille ou entre amis  ou même  quand on mange sur le pouce  tout le monde devient connaisseur en la matière et chacun y va de sa propre analyse et de son propre pronostic  pour expliquer la situation politique qui a priori sent le pourri … Le mélange prend…C’est surtout quand les bons comptes font les bons ‘’opportunistes’’ et que tout devient permis, même quand des infatigables ennemis  invétérés  de l’islamisme rampant mettent la main dans la main avec leurs adversaires historiques.   Une gauche islamo- démocratique et tout le cortège d’appellations qui ne servent à plus rien sinon à faire dans le simulacre et dans le faux-semblant.

On a droit ainsi à un butin de la politique, qui fait baver  des loups qui «  ne mangent pas entre eux ».  Mais ils mangent tout de même… à tous les râteliers,  comme un glouton … avec voracité. Ils  se goinfrent.  Et quand la période de gave se poursuit sur toute l’année, sur toute la ligne sans arrêt, on « crie haro sur le baudet » ! « L’âne a mangé le constitution » !  Et là aussi on n’en peut plus de la politique politicienne et de ces révélations qu’on ingurgite à longueur de journée… On crie « Arah !» quand on est un Tunisien qui ne cherche qu’à se rassasier, manger à sa faim et non pas se consumer dans une sorte de non-vie…

 Mieux encore, et pour rester dans ce même registre de la mauvaise bouffe, on ne contredira  pas  les propos  de  ce personnage bien ciselé de l’Académie française et homme d’Etat français de la troisième République  qui depuis la moitié du siècle écoulé a dit que « La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. »   Andouille, andouillettes et les autres  produits de la charcuterie française s’ajouteront à d’autres  mets comme la ratatouille pour expliquer des faits de la politique. Leurs presqu’équivalents dans notre dialecte, sont ‘’osbane’’, ‘’ojja’’ et ‘’chachouka’’ qui  s’utilisent désormais en  politique non pas pour banaliser la chose politique  mais pour donner une explication plutôt proche du citoyen lambda et de ses manières de penser.  

Gastronomie et politique

Mais le parallèle entre ce qui est politique et  gastronomique  a du bon aussi.  Paul Bocuse, le chef cuisinier français ayant donné son nom à ce concours de la gastronomie de renom, nous en livre l’art et la manière. Dans un article publié dans le numéro ( 2016/n° 78)  de la revue scientifique cain.info , il souligne  le rôle de la gastronomie comme point d’ancrage des relations internationales en notant qu’ « En France, la diplomatie et la politique ne sont jamais très éloignées de la cuisine. Une tradition vieille de plusieurs siècles nous permet de gérer des conflits et de créer des alliances grâce à notre expérience culinaire. Talleyrand avait compris ce rôle essentiel de la gastronomie dans la sphère politique : « Donnez-moi de bons cuisiniers, je vous ferai de bons traités », promettait-il à Napoléon Bonaparte » », rappelle  le chef cuisinier en avançant « Ne dit-on pas « s’assoir à la table des négociations » ? Tout un champ lexical regroupe les deux sphères que sont la géopolitique et la gastronomie, tout comme les codes, la grammaire et les techniques nécessaires à leur réalisation : ce socle commun s’exprime par son excellence et son influence dans le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain… »

Mona BEN GAMRA