Le corps à l’épreuve pour renouer avec son identité
Sur une scène obscure, des danseuses tracent des trajectoires distinctes d’une performance à la frontière de la théâtralité qui relate cette recherche de soi dans un monde où la question de l’identité devient d’une pressante actualité. Donné à la Cité de la culture, le spectacle espagnol ‘’Tabula’’, ouvre la voie à des performances en solo, en duo et en groupes aux prises avec des souvenirs qui éclatent et d’une mémoire qui flanche. ‘’Tabula’’ ou quand les souvenirs viendront danser pour renouer avec soi-même et avec son identité.
Une silhouette. Celle d’une marionnette, se détache de la pénombre des lieux. D’un blanc immaculé, elle tranche avec l’obscurité d’une scène investie par des corps dansants arborant des tenues d’un rouge sang, qui essayaient en vain de coller les unes aux autres les parties de cet objet mutilé jonchant la terre… et avec ramasser les bribes éparses d’une mémoire qui éclate.
Retrouver ses souvenirs
La question n’est pas en fait de retrouver ses souvenirs mais de se renouer avec soi-même, de se reconstruire dans une société qui réduit ses sujets à des êtres identiques sans visages et prive tout un chacun de ce qui caractérise son humanité, son âme, sa conscience, son langage, son histoire… Il est réduit à des besoins primaires d’existence voire d’exhibitionnisme social pour montrer une image qui ne reflète pas vraiment son être.
Ces corps qui tantôt s’enchevêtrent et s’ entrelacent tantôt se repoussent signifient qu’on est en face d’un spectacle de danse qui nous confronte au cynisme d’une vie de société qui nous oblige de suivre le mouvement et la trajectoire qu’on nous trace. Il est question donc de l’affronter avec courage. C’est là qu’on commence à prendre conscience de son existence chaotique, à travers ce dialogue constant entre cette musique électrisante, stridente, mélangée au tout début à des sons de klaxons et ces corps dansants qui s’agitent dans tous les sens, complètement habités par leurs mouvements. Le temps, l’énergie, l’espace, la musique … sont autant de possibilités pour se mettre en mouvement.
Une danse qui part du sol
La danse contemporaine prend en considération la gravité. On pourra donc aller au sol, chercher ce corps de marionnette à même la terre. L’inviter à une danse des âmes qui se recherchent dans ce vaste espace scénique. La scène est épurée et ne laisse la place qu’à une table sur laquelle sont posés un papier et un stylo… Mais il ne faut pas se leurrer car cette marionnette modulable, manipulable à souhait rend l’espace scénique non statique pour suivre les aléas d’un travail qu’on fait sur soi-même pour retrouver son être.
Le finish de la performance est plein de rebondissements. Le papier posé sur la table a été froissé et déchiré tout comme une sensibilité qu’on froisse ou une âme qu’on déchire, mais il a été transformé, comme par enchantement, en une marionnette, en un corps qui se façonne petit à petit et prend forme. Le message est là, il a uni tous les danseuses dans un même tableau où les corps s’enchevêtrent et s’enlacent, et fait donc de la scène un lieu ultime de la rencontre de leurs corps déliés qui se meuvent dans un bel unisson qui déjoue l’arbitraire du geste et la dissolution de l’identité.
Mona BEN GAMRA