‘’Corps d’Absence’’ (Grèce)
Un théâtre,… comme un monde onirique régi par le rêve et l’imagination
Parler de la condition de l’Homme d’aujourd’hui, de sa solitude, de son isolement, avec un théâtre d’objets … n’est jamais une sinécure. Pour ‘’Corps d’Absence’’, la compagnie grecque Plefsis n’y est pas allée de main morte en proposant une belle mixture artistique révolutionnaire alliant une performance théâtrale physique accompagnée d’un théâtre de marionnettes, des techniques du cinéma et des prouesses électroacoustiques pour donner à voir une œuvre qui s’aligne sur les principes d’un art surréaliste. Un art qui étonne par ses excès et dépeint la désolation d’une humanité annihilée par la modernité, pour renouer enfin avec un monde onirique régi par le rêve et l’imagination.
‘’Corps d’Absence’’, est une aventure artistique onirique, excentrique et merveilleuse, singulière aussi, car nous offre l’exemple d’une belle dissidence. Elle dévoile un autre genre artistique qu’on n’a pas l’habitude de voir sous nos cieux, avec la profusion de personnages truculents de tous genres représentant la parabole du déracinement de l’homme moderne. L’idée est de nous confronter à l’essentiel pour pouvoir regarder la réalité en face, celle de l’absurdité de la condition de l’homme d’aujourd’hui.
Les scènes qui rappellent les techniques du courant d’art surréaliste sont des tableaux vivants qui conjuguent la mélancolie des personnages protagonistes à celle des décors et des vidéos stupéfiantes, projetées en direct.
Destruction de l’espace scénique
A commencer par la destruction de l’espace scénique fait qu’on soit en face d’une scène que rien ne délimite des coulisses. L’espace ouvert l’est aussi pour l’éclairage, les objets utilisés, les marionnettes et mêmes les vidéos diffusées en direct, faisant partie de la pièce de théâtre, sont réalisées devant un spectateur hagard car n’a pas l’habitude de voir ce genre de performances. Toujours dans ce même ordre d’idées, l’écriture scénique est éclatée, énigmatique et souvent fulgurante. Ici on se joue des conventions et des codes en la matière pour nous plonger dans un théâtre où le langage verbal est remplacé par un langage non verbal qui nous prend dans le vertige des images lyriques et des descriptions laconiques et laisse la place aussi à la dramaturgie sonore qui créé un véritable paysage électro-acoustique en lien direct avec les mouvements physiques des interprètes.
L’arbitraire de la vie moderne
On dénonce la vie moderne avec son côté arbitraire … L’aliénation des humains est montrée dans une scène qui met en avant des marionnettes presque identiques à qui on manipule le mouvement de va-et-vient. Le voyeurisme est dénoncé par ce plan qui met en scène une caméra qui filme un amoncellement d’immeubles. On adore cette scène de vêtements éparpillés, disposés à même le sol avec lesquels les interprètes ont créé une sorte de tourbillon qui suit le vacarme des lieux créé par un bruitage en résonnance avec leur état d’âme. Ces vêtements sont, au final, installés en un amas d’objets sans destinataires. La compagnie grecque nous a donné à voir, au final, une fiction théâtrale hors du commun, dans laquelle l’existence humaine n’a plus de sens et qu’on peut placer dans la tradition de l’anti-tradition, de la modernité en évolution.
Le contraste noir et blanc
Les cinq interprètes se dressent sur les deux côtés de la scène arborant une tenue en noir et rendent visible leur présence physique par leurs souffles, leurs énergies, leurs ombres dont le reflet est renvoyé sur un grand écran imposant. Et si les humains perdaient soudain leur ombre ? Un tas de copeaux de bois est déposé en milieu de l’espace scénique comme pour montrer l’état d’une humanité qui va à sa perte.
Le noir des costumes laisse la place par moments au blanc immaculé des tenues, celle par exemple de la robe d’une interprète qu’on manipule telle une marionnette. Une scène qui contraste certainement avec celle de la marionnette qui se déplace sur des tubes néon avec la grâce d’un funambule comme pour montrer cette contradiction ontologique entre la rationalité et l’irrationnel de l’existence humaine.
Mona BEN GAMRA